La voici enfin, la première newsletter de La Bibliotrice !
C’est un projet sur lequel je méditais depuis plusieurs mois… mais sans prendre le temps de me lancer vraiment, principalement par manque de temps (j’ai précisé que j’étais pigiste ? voilà, vous comprenez mieux maintenant, hein ?). Après avoir abandonné le club de lecture que j’avais créé il y a quelques années pour Le Figaro, partager des recommandations littéraires avec d’autres personnes me manquait terriblement (j’ai bien tenté de me mettre au Bookstagram, mais je crois que je suis malheureusement trop vieille pour ça, du moins dans ma tête).
Comme pour le club de lecture, l’objectif de cette newsletter est de partager et de découvrir de nouvelles pépites littéraires, mais aussi (et surtout) d’en faire un projet participatif. C’est pour cette raison que chaque mois, une personne sera invitée à collaborer à la newsletter et à partager un livre écrit par une femme qui l’a marquée, en lien avec la thématique du mois.
J’aimerais insister sur un point : même si ici nous ne partagerons que des livres d’autrices, les lecteurs masculins (ou non-binaires) sont les bienvenus, et sont même très fortement encouragés (je ne peux pas surligner mais le coeur y est) à participer à la newsletter et à partager leurs recommandations littéraires. On sait que globalement, les femmes auteurs sont moins publiées et moins représentées dans les médias que les hommes. Mais on sait aussi, selon les chiffres, que les hommes auraient tendance à lire très peu de livres écrits par des femmes… quand les femmes, elles, liraient autant les auteurs masculins que féminins. It’s a shame, such a shame 🎶
Deuxième précision : ni moi, ni les participants de cette newsletter sommes des critiques littéraires, donc ne vous attendez pas à de grandes envolées lyriques. Nous sommes juste des passionné(e)s de lecture qui ont à coeur de partager leurs lectures avec d’autres personnes. C’est tout (et c’est déjà pas mal).
Si vous souhaitez participer aux prochaines newsletters et partager vos recommandations littéraires (ouiiii 🤗), vous pouvez m’écrire à cette adresse : labibliotrice@gmail.com. Et n’oubliez pas de vous abonner à la newsletter pour la recevoir chaque mois dans votre boîte :
Pour cette première, j’ai proposé à mon amie Estelle de participer. En thématique, nous avons choisi la famille.
📖 La recommandation d’Estelle : La carte postale d’Anne Berest
Lorsqu’Hélène m’a annoncé qu’elle souhaitait lancer une newsletter collaborative de recommandations de livres féministes ou écrits par des femmes, et qu’en plus elle avait pensé à moi pour y participer, vous imaginez bien quelle fut ma réponse. Je signe où ?
Vient ensuite le moment plus hésitant de la sélection. De quel livre pourrais-je bien parler ?
Alors bien sûr, j’ai pensé immédiatement aux grands classiques de la littérature féministe : Le Deuxième Sexe, Une Chambre à soi ou encore King Kong Théorie. Mais je me suis également dit que c’était un peu trop évident. Non, pour cette première newsletter, j’ai eu envie de partager une lecture qui m’a bouleversée. Ce n’est pas un livre féministe mais bel et bien écrit par une femme, sur les hommes et les femmes de sa famille. Un récit familial où les destins s’entrechoquent avec la grande Histoire. Il s’agit de La carte postale d’Anne Berest. Ce n’est pas son premier livre, ni le premier sur le thème de la famille. Thème qu’elle questionne, bouscule et investigue avec sa sœur Claire, autrice également. Petite parenthèse, mais non sans intérêt, pour envisager la chronique qui va suivre.
Voici le topo :
« C’était en janvier 2003. Dans notre boîte aux lettres, au milieu des traditionnelles cartes de vœux, se trouvait une carte postale étrange. Vingt ans plus tard, j’ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale. J’ai mené l’enquête, avec l’aide de ma mère. En explorant toutes les hypothèses qui s’ouvraient à moi. Cette enquête m’a menée cent ans en arrière. J’ai retracé le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine. Et enfin, leur arrivée à Paris, avec la guerre et son désastre. J’ai essayé de comprendre comment ma grand-mère Myriam fut la seule qui échappa à la déportation. Et éclaircir les mystères qui entouraient ses deux mariages. J’ai dû m’imprégner de l’histoire de mes ancêtres. Ce livre est à la fois une enquête, le roman de mes ancêtres, et une quête initiatique sur la signification du mot “Juif” dans une vie laïque. »
Ce gros ouvrage (car oui il faut le dire, c’est un sacré objet) m’a été offert par une amie en ce début d’année, je l’ai immédiatement ouvert et c’est à contrecœur que je l’ai refermé. J’ai rarement été si émue, dans le sens impliquée émotionnellement, par une histoire. La famille Rabinovitch était devenue la mienne, je ne voulais plus la quitter. Depuis, je ne l’ai d’ailleurs pas tout à fait quitté et je pense encore souvent à eux. Aux écrits de Noémie, au piano d’Emma…
C’est une histoire de famille, une histoire d’ancêtres, de secrets, de non-dits, d’héritages, une petite histoire dans la grande Histoire. Anne Berest, avec une écriture très sobre, réussit à éviter tout jugement et tout pathos, et à creuser finement le sillon de la mémoire. Elle nous emmène ainsi au cœur de l’histoire de la shoah, parfois au bout de l’insoutenable. Ecrire et lire cette histoire, c’est sortir les victimes du néant où on l’on a voulu les plonger. C’est également une réflexion sur l’identité, sur l’influence d’un passé et sur la façon de vivre sa judaïcité.
Poétique, grave, éprouvant souvent, ce livre est écrit avec une sincérité et une sensibilité qui va droit au cœur et qui marque votre esprit. L’esprit, parlons-en, c’est aussi ce qui caractérise chaque membre de cette famille. Brillants, drôles et si vivants, ils se démarquent par leurs traits d’esprit. On se souvient de leur courage mais aussi de leur fantaisie. J’ai adoré le poème que le premier mari de Myriam lui écrit au début de leur rencontre, pour la séduire. Sublime, je le relis souvent en ayant toujours à l’esprit qu’il n’était même pas de lui (mais ça, il se garde bien de lui dire) !
Enfin, s’ils m’ont tous touché, Ephraïm est le personnage qui m’a le plus émue. Cet homme qui fera jusqu’au bout tout ce qu’il est en son possible pour sauver sa famille.
🔖 Extraits :
Ephraïm à ses enfants : « La nature n’est pas un paysage. Elle n’est pas devant vous. Mais à l’intérieur de vous, tout autant que vous êtes à l’intérieur d’elle. »
« La liberté est incertaine. Elle s’acquiert dans la douleur. L’eau salée que nous posons sur la table le soir de Pessah représente les larmes de ceux qui se défont de leurs chaînes. Et ces herbes amères nous rappellent que la condition de l’homme libre est par essence douloureuse. Mon fils, écoute-moi, dès que tu sentiras le miel se poser sur tes lèvres, demande-toi : de quoi, de qui, suis-je l’esclave ? »
« ll n’a pas l’air juif, soupire Ephraïm en voyant son père débarquer en Normandie. Il a l’air de cent Juifs. »
« Ephraïm regarde Emma. Son visage est un paysage qu’il a tant parcouru. Il prend les pieds de sa femme, ses pieds gelés à cause du froid dans les wagons à bestiaux. Et les réchauffe dans ses mais en soufflant dessus. »
📖 Ma recommandation : Crying in H Mart de Michelle Zauner
En mai dernier, j’ai eu la chance de partir quelques jours à Londres et de faire le tour des librairies de la ville, à la recherche d’ouvrages qui me faisaient envie mais dont la version française n’était pas encore disponible. Le livre de Michelle Zauner en fait partie.
Si vous appréciez la musique et plus particulièrement l’indie-rock, le nom de cette autrice ne doit pas vous être totalement étranger : il s’agit en effet de la chanteuse américano-coréenne du groupe Janapese Breakfast. « Crying in H Mart » est son premier roman tiré d’un essai qu’elle a publié dans The New Yorker en 2018.
Il n’est pas rare que des musiciennes publient leurs « mémoires » pour retracer leur parcours musical et les rencontres qui les ont marqué (je pense notamment à Patti Smith avec « Just Kids » ou encore Kim Gordon de Sonic Youth avec « Girl in a band »). Là où le livre de Michelle Zauner se démarque des autres autobiographies d’artistes, c’est qu’elle y parle finalement très peu de sa carrière. Le sujet principal est plus intime, plus sensible : il s’agit de sa mère, décédée d’un cancer foudroyant du pancréas en 2014 , alors que la chanteuse était âgée de 25 ans.
La maladie ne représente qu’une partie infime du roman. Il est surtout question de la complexité de la relation entre la mère et sa fille, une relation à la fois névrotique et pleine de tendresse (n’est-ce pas le cas de beaucoup de relations mère-fille ?). Michelle Zauner aborde aussi l’importance des racines familiales et des traditions : dans son cas, il s’agit surtout de la cuisine coréenne, un savoir-faire qu’a tenté de lui transmettre sa mère jusqu’à la fin de sa vie. Un héritage qui lui permet de se rappeler d’où elle vient, en tant que femme américano-coréenne.
Cela ne m’arrive pas souvent, mais je n’ai pas pu m’empêcher de verser quelques larmes en lisant ce livre. Peut-être parce que le sujet des relations mère-fille est quelque chose qui me parle particulièrement, et que Michelle Zauner réussit à mettre le doigt sur des sentiments compliqués à exprimer. Dans tous les cas, c’est un livre qui m’a profondément ému.
🔖 Extraits :
«I remember these things clearly because that was how my mother loved you, not through white lies and constant verbal affirmation, but in subtle observations of what brought you joy, pocketed away to make you feel comforted and cared for without even realizing it.»
«Hers was tougher than tough love. It was brutal, industrial-strength. A sinewy love that never gave way to an inch of weakness. It was a love that saw what was best for you ten steps ahead, and didn't care if it hurt like hell in the meantime. When I got hurt, she felt it so deeply, it was as though it were her own affliction. She was guilty only of caring too much. I realize this now, only in retrospect. No one in this would would ever love me as much as my mother, and she would never let me forget it.»
Si vous avez déjà lu ces livres et que vous souhaitez aussi nous en parler, ou si vous souhaitez juste nous dire ce que vous avez lu sur le même sujet, n’hésitez pas à nous le dire en commentaires. Plus il y a de recommandations et de découvertes, mieux c’est ! 🥳